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De Corentin Gobé,

le 26 novembre 2013

Veolia, Areva et Auchan "récompensés"par

les prix Pinocchio du développement durable

 

 

 

« Nulle raison ne pourrait justifier le mensonge Â» - Anton Tchekhov

 

 

Le 1er septembre 2013, le Pacte Mondial des Nations Unies[1] Ã©tait composé de 7700 entreprises adhérentes. Il a pour but de renforcer le civisme des entreprises, et de les inciter à prendre des mesures pour améliorer leurs impacts sociaux et environnementaux. Seulement, à l’instar des prix Pinocchio, de plus en plus de voix s’élèvent pour contester la véracité et la sincérité des pratiques de développement durable (DD) des entreprises. Fruit de ma présence lors de la remise de ces récompenses, cet article analyse une initiative de la société civile pour promouvoir de nouveaux paradigmes et comportements.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Précisions sur la démarche et la philosophie des prix Pinocchio

 

Créés en 2008, les prix Pinocchio du développement durable ont été décernés le mardi 19 novembre. Cette sixième édition a enregistré le double du nombre de votants par rapport à l’année dernière (41 000), et le processus s’internationalise d’année en année, avec des votes venant des quatre coins du monde. Les prix Pinocchio sont organisés par trois associations : Les Amis de la Terre[2], Peuples solidaires[3] et le CRID[4] (Centre de recherche et d'information pour le développement).

 

L’objectif est de « récompenser Â» des entreprises pour leurs actions néfastes sur l'environnement et sur la société. De même, ces prix dénoncent l'hypocrisie de ces Groupes, qui prétendent agir dans le cadre du développement durable, alors qu'ils poursuivent des activités qui occultent ou aggravent les problématiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). En quelque sorte, la démarche Pinocchio vise à dénoncer l’écart entre les beaux discours et les pratiques effectives.

 

 

Eloge d’une approche atypique et engagée

 

Non les prix Pinocchio ne sont décidemment pas des récompenses comme les autres. En plus d’une finalité qui leur est bien spécifique, l’ambiance lors de la remise des prix est particulièrement chaleureuse et décalée. A ce titre, le choix du lieu de la cérémonie, la Java, une salle de spectacles et de concerts alternatifs dans le 10e arrondissement de Paris, illustre parfaitement l’atmosphère décontractée qui y règne. On est bien loin des salles de congrès traditionnellement utilisées pour la remise de prix…

 

Ici, la sensibilisation et le changement passent par la convivialité, la solidarité, mais aussi l’humour. A la manière de Voltaire, le déroulement de la remise des prix Pinocchio accorde une force créatrice à l’ironie. Ainsi, il n’y a pas de longs et froids discours ni de powerpoints ennuyeux, car la présentation de chaque entreprise nominée est réalisée par l’intermédiaire d’animations et de jeux de rôles où le rire et la dérision sont permanents.

 

 

Trois prix pour neuf entreprises irresponsables

 

Le premier prix a récompensé l’entreprise  ayant mené « la politique la plus agressive en terme d’appropriation, de surexploitation ou de destruction des ressources naturelles Â», et ce au détriment du plus grand nombre. La Société Générale a été nominée pour le financement d’une mine de charbon en Australie, qui aura des effets ravageurs sur la Grande Barrière de Corail. Total était également au rendez-vous, pour son exploitation de gisements de gaz de schiste en Argentine. Mais la victoire dans la catégorie « Un pour tous, tout pour moi Â» revient à Veolia, pour la privatisation de l’eau en Inde, qui entraîne des conséquences multiples : hausse des tarifs pour les usagers, rareté de l’eau courante, conflits avec les populations locales, corruption dans les contrats passés avec les administrations locales, etc.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans la troisième et dernière catégorie, « Mains sales, poches pleines Â», Apple était nominé pour son refus de reconnaître l’exploitation de mines d’étain en Indonésie, et la déforestation que cela entraîne. Même s’il soutient activement les projets de grands barrages en Amazonie, Alstom non plus n’a pas remporté ce prix. C’est Auchan qui a été reconnu comme l’entreprise « ayant mené la politique la plus opaque au niveau financier Â». En effet, malgré l’implication de certains de ses fournisseurs dans l’effondrement en avril dernier des usines textiles du Rana Plaza au Bangladesh, Auchan refuse toujours de reconnaître ses responsabilités dans l’accident, et de participer à l’alimentation du fonds d’indemnisation des victimes.

 

 

De la dénonciation à l’action

 

Les prix Pinocchio sont devenus une arme médiatique qui pousse les entreprises à reconnaître les impacts de leurs activités, et à ce qu’elles adoptent des dispositions concrètes pour répondre aux défis ESG les concernant. Bien qu’elles puissent dans un premier temps être vexées par de telles récompenses, les entreprises lauréates ont ensuite pour habitude de corriger certains de leurs comportements néfastes et négligents, par peur d’une dégradation de leur image et de leur réputation.

 

Grâce à ces « récompenses Â», les organisateurs clament haut et fort leur volonté de faire pression sur les décideurs économiques et politiques. De ce fait, ces prix ont également pour objectif que les hommes et femmes politiques résistent davantage face aux intérêts des lobbies des multinationales. Mais le répertoire d’actions des ONG coordinatrices des prix Pinocchio ne s’arrête pas là, car elles mènent également des démarches de terrain, comme lorsqu’elles vont manifester contre des projets destructeurs de l’environnement.

 

La logique des trois associations organisatrices des prix Pinocchio est que la solidarité internationale est un remède aux crises actuelles. Cela constitue une approche originale dans la recherche de solutions aux désordres sociaux et environnementaux. D’une certaine façon, il y a une réelle valorisation de notre rôle de « consom’acteur Â», pour que les entreprises agissent sur toute leur chaîne d’approvisionnement, et qu’elles choisissent leurs sous-traitants en fonction de leurs performances ESG.

 

 

 

 

 

Notes :

[1] http://www.pactemondial.org/presentation-du-pacte.html

[2] http://www.amisdelaterre.org/

[3] http://www.peuples-solidaires.org/

[4] http://www.crid.asso.fr/spip.php?page=sommaire

 

Air France, avec son projet de compensation carbone à Madagascar qui prive les populations locales de leurs terres, finit troisième de la catégorie récompensant l’entreprise qui a Â« mené la campagne de communication la plus abusive et trompeuse au regard de ses activités réelles Â». En dépit de sa grande hypocrisie sur le financement de la recherche contre le changement climatique, qui ne représente pas grand-chose face aux milliards d’euros qu’il investit chaque année dans l’industrie du charbon, BNP Paribas ne remporte pas le prix Â« Plus vert que vert Â». En effet, c’est Areva qui rafle la mise, grâce à l’ouverture récente dans le Limousin d’Urêka, un musée à la gloire de l’uranium.

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