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De Charles-Antoine Brossard,

le 26 novembre 2013

La démocratie par le hasard ? Le tirage au sort en politique

 

 

 

Le tirage au sort en politique est un mode alternatif de désignation de nos représentants qui, à la différence de l'élection, donne ses chances à tout le monde et donne lieu à une démocratie plus participative. Ainsi que le disait Montesquieu, « Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie. Le suffrage par le choix est de celle de l'aristocratie. Le sort est une façon d'élire qui n'afflige personne ; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir sa patrie Â»[1].

 

Avec cette nouvelle manière de participer aux institutions politiques, il s'agit de renouveler notre démocratie, de l'améliorer, de « redorer le blason Â» de la politique en en rendant l'exercice plus accessible et d'en finir avec certaines tares propres à notre modèle de démocratie représentative actuel – bref, d'aller vers une véritable démocratie du XXIème siècle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Français et la politique : un désamour croissant

 

Le constat est déchirant : 70 % des Français ne font confiance ni aux hommes ni aux femmes politiques[2] et 85 % d'entre nous pensent que les responsables politiques ne prennent pas en compte leur avis[3]. Il existe donc un fossé entre la vie politique (et institutionnelle) et les citoyens, qui s'en désintéressent voire en sont dégoûtés[4].

 

Ce désamour se retrouve clairement dans les résultats des élections, à l'exception des élections présidentielles qui, de par le statut particulier du président, chef de l’État et figure de « l'homme providentiel Â», restent beaucoup moins sensibles aux évolutions de l'opinion. En observant les élections législatives en France sous la Vème République, on note que l'abstention ne cesse d'augmenter depuis 1988, atteignant près de 50 % en 2012 !

 

 

La démocratie représentative en quelques mots

 

L'appellation de démocratie est rattachée, en réalité, à une multitude de systèmes politiques ou régimes ayant leurs propres particularités. On ne peut guère, en effet, comparer aisément la cité athénienne de la république française, pour des questions tant de contexte social, économique et politique que de fonctionnement institutionnel, plus simplement. Pour autant, le vocable de « démocratie Â» est encore utilisé, avec une nuance tout de même : il est plus juste de parler, pour la France (comme pour l'Angleterre ou les États-Unis), de démocratie représentative.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Ã‰lections, piège à cons Â» ?

 

Or, à la différence des deux derniers principes – la liberté d'expression et le principe de délibération en Assemblée –, les deux premiers apparaissent discutables.

 

L'élection, au premier chef, n'est pas à même de garantir du caractère démocratique d'un régime. De même que Montesquieu (mais aussi Aristote) considérait l'élection comme étant le mode de désignation d'une élite, et donc de nature aristocratique (ou oligarchique) – il suffit de regarder la composition de l'Assemblée nationale pour s'en rendre compte[6]...

L'Abbé Siéyès explique ainsi lors d'un discours que l'élection de représentants n'a rien de démocratique mais permet justement d'écarter le peuple du pouvoir : « Le peuple […] dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants Â»[7] – autrement dit, les élus politiques s'expriment à la place du peuple.

 

C'est là que se pose la problématique de l'indépendance des représentants : nous avons certes la liberté d'opinion, nous pouvons critiquer librement nos représentants, mais n'avons presque aucun pouvoir pour les démettre de leurs fonctions s'ils ne respectent pas leurs promesses ou même notre avis. Or, un régime qui se revendiquerait de la démocratie se doit d'avoir des contre-pouvoirs, et populaires de surcroît car l'essentiel, « ce n’est pas l’origine des pouvoirs, c’est le contrôle continu et efficace que les gouvernés exercent sur les gouvernants Â»[8].


Ce n'est donc pas tant l'élection en elle-même qui pose problème, que l'absence de contrôle qui est exercée sur son produit : les représentants.  

 

 

Le tirage au sort en politique : quésaco ?

 

En revanche, le tirage au sort en politique peut devenir une solution simple et efficace de construire un contre-pouvoir populaire et démocratique, tout en satisfaisant tous les citoyens qui désirent participer plus activement à la politique sans pour autant y faire « carrière Â».

 

L'idée ici, serait de créer une « Assemblée des Citoyens Â» composée de députés tirés au sort. Ce nouvel organe législatif prendrait lieu et place du Sénat. Le fonctionnement serait le suivant : tout citoyen de plus de 18 ans peut déposer une candidature à sa préfecture ; la préfecture vérifie que le candidat est « Ã©ligible au sort Â» (casier judiciaire vide, entre autres critères) et valide ; le tirage au sort a lieu, le candidat sélectionné peut accepter ou refuser d'aller siéger à l'Assemblée ; la préfecture lui propose, s'il a accepté de siéger, des formations de base (économie, politique, droit...), facultatives. Le député tiré au sort est désigné pour un mandat d'un an, révocable (par ses pairs ou une commission indépendante qui surveille la gestion de ses comptes de député) et non-renouvelable : il exerce donc son rôle à plein temps et sous un strict contrôle.

L' Â« Assemblée des Citoyens Â» peut modifier et voter les lois avec l'Assemblée nationale, mais ne peut en proposer que sur la base d'un Référendum d'Initiative Populaire. Elle peut également, avec l'Assemblée nationale, révoquer le Président de la République ou son gouvernement par le même procédé.

 

Un tel système de députés tirés au sort a ainsi l'avantage d'être équitable, impartial et représentatif de la population, tout en permettant la participation de tous à la vie politique sans subir les coûts de l'élection. Certes, le risque d'incompétence, l'absence de mérite lié au procédé de sélection et l'artificialité de l'égalité qu'il met en Å“uvre constituent autant d'inconvénients, mais ceux-ci sont moindres comparés aux avantages que procure ce système, et ne sont pas tous propres au tirage au sort : l'incompétence de certains députés de l'Assemblée nationale n'est pas à démontrer, et l'égalité des députés élus est loin d'être une réalité tangible.

 

Le tirage au sort en politique serait donc un moyen de questionner les fondements de notre démocratie en la rendant plus participative et donc plus encline à former de véritables citoyens. Elle permettrait également de réduire considérablement le fossé qui sépare les citoyens français de la vie politique en les inscrivant directement dans les différents processus de décisions qui la construisent.

 

 

 

 

 

Notes :

[1] Montesquieu, De l'esprit des lois, Livre II, chapitre 2, 1748.

[2] Sondage LH2 pour « Le Nouvel Observateur Â», « La confiance des Français dans les acteurs politiques », avr. 2013.

[3] Sondage OpinionWay pour le « Cevipof Â», « Baromètre de la confiance politique. Vague 4 Â», déc. 2012.

[4] Sondage OpinionWay pour « Le Figaro Â» et « LCI Â», « Les conséquences de 'l'affaire Cahuzac' : attentes à l'égard du Président de la République et image de la politique et des élus », avr. 2013.

[5] Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 1996, pp. 17-18.

[6] Éric Keslassy, « Une Assemblée nationale plus représentative ? Sexe, âge, catégories socioprofessionnelles et pluralité visible Â», Institut Diderot, Les Notes de l'Institut Diderot, Automne 2012.

[7] Abbé Siéyès, Dire de l'abbé Siéyès, sur la question du veto royal à la séance du 7 sept. 1789.

[8] Alain, Propos sur le pouvoir. Éléments d'éthique politique, Paris, Folio Essais, 1985.

 

 

 

 

La démocratie représentative peut être définie selon quatre principes: (1) Â« les gouvernants sont désignés par élection à intervalles réguliers Â» ; (2) Â« les gouvernants conservent, dans leurs décisions, une certaine indépendance vis-à-vis des volontés des électeurs Â» ; (3) Â« les gouvernés peuvent exprimer leurs opinions et leurs volontés politiques sans que celles-ci soient soumises au contrôle des gouvernants Â» ; (4) Â« les décisions publiques sont soumises à l’épreuve de la discussion Â»[5].

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